jeudi 29 avril 2010

L'Église est-elle homophobe ? L'argumentaire de Riposte-catholique

Le site Riposte-catholique, qui s'autoproclame site « de réinformation 2.0 », se partage entre nouvelles sur le catholicisme et militantisme chrétien. Il a édité en février 2010 un document, "Des munitions pour la riposte", destiné à démonter les arguments de ceux qui accusent l'Église d'homophobie.

Étudions-le point par point.
1) Tout d’abord, il faut dire et redire que le mot « homophobie » est un mot absurde. En bonne logique, il devrait signifier « aversion à l’égard du semblable ». A notre connaissance, personne n’éprouve d’aversion à l’encontre de ceux qui lui ressemblent.
Sémantiquement, la construction du mot est étrange. Wikipédia l'explique ainsi :
Un homo désigne alors, familièrement, un homme homosexuel. De ce fait, le préfixe homo- prend une teinte masculine pour la formation de mots nouveaux. Homophobie ne signifie donc pas « peur du même, de son semblable », sur la base du préfixe homo- (« même ») mais bien « aversion, hostilité envers les homosexuels, l’homosexualité ».
C'est évidemment un point de détail, mais où se trouve l'intérêt de remettre en cause d'un terme désormais reconnu et évocateur d'une discrimination réelle ? Qu'il échappe à la logique étymologique grecque n'a pas beaucoup d'importance. 
2) Mais, derrière cette absurdité, le lobby gay, qui a imposé ce terme dans le débat public, veut imposer l’idée que les personnes défavorables à l’homosexualité (voire simplement celles qui sont indifférentes à l’homosexualité) éprouveraient de la haine ou du mépris pour les personnes homosexuelles. C’est là un sophisme grossier. Et spécialement grossier en ce qui concerne les catholiques.
Le document part de l'existence d'un « lobby gay », qui est un terme fantasmatique pour désigner (a priori) les associations de défense des droits, pour lui donner des intentions malveillantes : il voudrait imposer une idée, celle que désapprobation serait synonyme d'aversion.
Le véritable sophisme est là, et il est l'œuvre de Riposte-catholique.
Car lorsque certains protestent contre les raisonnements discriminatoires ou trompeurs, ils ne s'offusquent que lorsqu'on sort du débat contradictoire pour se réfugier derrière les préjugés et les propos insultants. Et quand seuls les arguments sont fallacieux, comme dans la suite du texte que nous étudions, la réfutation suffit à les déconstruire.
Ce point tend à faire passer les homosexuels pour des paranoïaques liberticides, alors que la sensibilité bien réelle du sujet est due aux nombreux débordements imputables aux personnes « opposées à l'homosexualité », orientation sexuelle que l'Église qualifie par ailleurs de « désordonnée ». Faut-il rappeler qu'en 1998, lorsque Matthew Shepard est assassiné pour son homosexualité, des chrétiens s'invitent à son enterrement avec des pancartes « Le SIDA guérit les pédés », « Dieu déteste les homos », « L'enfer existe, demandez à Matt » ? La tendance récurrente que certains ont à jouer avec les limites au nom de la religion induit de fait une certaine méfiance vis-à-vis de l'Église, qui reste un important vecteur de diffusion de ces messages.
3) Comme catholiques, nous condamnons en effet les pratiques homosexuelles comme péché, mais nous n’avons aucune haine ni aucun mépris pour les pécheurs – d’autant moins que nous nous savons nous-mêmes pécheurs et que, par ailleurs, nous savons aussi que beaucoup d’homosexuels souffrent de leur homosexualité.
Nous reviendrons sur le péché dans le paragraphe suivant. Mais soit, tant mieux. Précisons que les souffrances évoquées sont inhérentes aux difficultés que peut rencontrer une partie des homosexuels pour se faire accepter en tant que telle, et pas à leur condition. En effet, le regard des autres peut s'avérer particulièrement destructeur dans certains milieux et être responsable d'une importante détresse psychologique. Ce n'est pas l'homosexualité qui crée la souffrance, mais bien le regard que les autres lui portent.
4) Que l’homosexualité soit un péché, l’immense majorité des traditions religieuses le disent. C’est en tout cas un enseignement sans équivoque de la Bible. On le voit dès le livre de la Genèse (Gn XIX), avec le châtiment effrayant de la ville de Sodome. La loi divine déclare laconiquement (Lv XVIII, 22) : « Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. »
Évidemment, on trouve dans ces ouvrages bi-millénaires une conception de la société décrivant les mœurs de l'époque. Or Riposte-catholique fait mine de les interpréter littéralement, ce qui n'a pas de sens et est d'une mauvaise foi confondante. Ils citent la Génèse, qui raconte par ailleurs comment Dieu créa le monde en 6 jours, comment Abraham prostitua sa femme, comment Ismaël vécut jusqu'à 137 ans, comment Ésaü était polygame. Puis c'est au tour du Lévitique, car ce livre condamne les actes homosexuels. Mais c'est sans compter qu'il interdit d'ensemencer un champ de deux espèces différentes et de porter un vêtement tissé de deux espèces de fil, instaure la peine de mort pour punir l'adultère et même le blasphème, ou qu'il autorise l'esclavage ! Le site catholique fait fi de ces éléments et estime donc que le rejet de l'homosexualité est un enseignement « sans équivoque » de la Bible. Au même titre que les passages que nous venons de citer, sans doute...
Bien évidemment, la plupart des catholiques sait que la Bible n'est pas à interpréter littéralement (et le revendique) ; mais ces passages bien choisis devraient, par contre, être pris au pied de la lettre. Ce deux poids deux mesures est attristant et montre bien que tous les moyens sont bons pour condamner l'homosexualité au nom de l'Église, quitte à perdre son honnêteté intellectuelle.
De la même façon, saint Paul affirme, liant d’ailleurs l’homosexualité à l’idolâtrie (Rm I, 26-27) : « C'est pourquoi Dieu les a livrés [ceux qui ont adoré la créature au lieu du Créateur] à des passions infâmes: car leurs femmes ont changé l'usage naturel en celui qui est contre nature; [27] et de même les hommes, abandonnant l'usage naturel de la femme, se sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les autres, commettant homme avec homme des choses infâmes, et recevant en eux-mêmes le salaire que méritait leur égarement. »
Là encore, comment se servir de la vision de la société qu'un homme avait dans les années 50 après Jésus-Christ pour conclure sur un tel sujet ? Saint-Paul trouve « malséant » que les femmes s'expriment dans des églises et leur ordonne de se taire dans les assemblées, sans oublier qu'il exhorte les esclaves à s'inféoder à leurs maitres. Que faudrait-il en déduire ? Riposte-catholique sélectionne les extraits qui l'arrangent pour défendre son point de vue, mais prendre à la lettre de tels écrits a des implications nettement plus globales... que le site ne reprend pourtant pas à son compte.
5) Cet accord général des grandes traditions religieuses n’est pas fortuit. Il tient essentiellement à ce que l’homosexualité est condamnée par la loi naturelle, inscrite dans le coeur de tout homme.
Les mots sont bien choisis : l'homosexualité serait condamnée par la loi naturelle. Présenté comme étant une évidence, c'est pourtant faux : pourquoi nos cœurs seraient-ils conditionnés à notre mode de procréation, et surtout, pourquoi mépriseraient-ils un amour dépassant notre instinct animal de reproduction ? En présentant un point de vue comme une vérité, le rédacteur abandonne dès lors l'objectivité nécessaire à toute démonstration rigoureuse.
À propos de « loi naturelle », il est important de remarquer que l'homosexualité existe à tous les niveaux du règne animal, preuve ô combien symbolique de son caractère naturel. La page de l'exposition Against nature? est très instructive à ce sujet : « nous savons aujourd'hui que l'homosexualité est un phénomène courant et répandu dans le monde animal. Pas seulement des relations sexuelles de courte-durée, mais également des couples durables ; couples qui peuvent durer toute une vie ».
Quel que soit notre état de vie, nous savons que l’homme a été créé homme et femme et que le plus grand bonheur humain (nous ne parlons pas ici du bonheur surnaturel auquel l’homme a été appelé par le baptême, mais bien du bonheur accessible à la seule nature) est de connaître cet amour et cette communion entre l’homme et la femme, qui donne, selon la Révélation elle-même, l’image la plus exacte de l’amour du Christ et de l’Eglise.
Comment comparer le « degré d'amour » et de bonheur entre une relation hétérosexuelle et une relation homosexuelle ? Ce point repose sur un « nous savons » qui traduit bien les limites de cette réflexion : la raison principale pour laquelle l'homosexualité est condamnable est que certains extrémistes pensent qu'elle l'est. Cet argument ad populum ne résiste pas à une analyse rapide : il est tenu par des personnes n'ayant pas connu de relation avec quelqu'un du même sexe. Comment, alors, s'estimer légitime pour les comparer ?
D'autre part, la Révélation chrétienne célèbre avant tout l'Amour qu'il serait bien réducteur de limiter à des considérations biologiques.
6) En particulier, l’amour est naturellement fécond et ne peut être centré exclusivement sur les amoureux, mais les invite à sortir d’eux-mêmes. De toute évidence, « l’amour » homosexuel ne connaît pas une telle fécondité.
De toute évidence, le besoin d'être parent s'exprime tout autant chez les homosexuels, dont l'« amour » n'est pas à mettre entre guillemets par déconsidération. Il se retrouve notamment à travers le désir d'adoption, dont on sait que c'est une importante revendication des associations homosexuelles.
La parentalité ne saurait se limiter au processus physiologique de la grossesse, sans quoi Riposte-catholique questionnerait la légitimité des parents adoptifs.
7) Il serait vain d’objecter que bien des couples homme-femme ne connaissent pas une fécondité charnelle. Ce cas ne fait qu’insister douloureusement sur le caractère naturellement fécond de l’amour humain : chacun sait que ces couples souffrent profondément de ne pas connaître cette fécondité. Preuve que celle-ci est tout aussi profondément inscrite dans la nature humaine.
Elle est même inscrite dans la nature animale, car elle régit la survie des espèces. La « fécondité » n'est rien de moins qu'un instinct primaire de reproduction.
Il est à noter que les couples hétérosexuels stériles qui « souffrent profondément » de cet état de fait (ainsi que ceux qui ne souhaitent simplement pas d'enfants) ne sont pas moins amoureux que les couples féconds. Leur relation n'est pas inférieure.
Réciproquement, la stérilité des couples homosexuels ne peut pas remettre pas en question leur degré d'amour. Au contraire, le fait que ces derniers souffrent tout autant que les hétérosexuels de ne pas pouvoir être parents (pour des raisons légales cette fois-ci) tend à prouver l'identité des situations.
8) Si parler d’homophobie est absurde, nous pouvons constater que, rejetant la communion avec un être différent (la femme pour l’homme et l’homme pour la femme), les homosexuels pourraient être dit, beaucoup plus justement, « hétérophobes », dans la mesure où ils rejettent l’altérité.
Ce n'est pas parce que Riposte-catholique estime que l'Église n'est pas homophobe ou que le terme est étymologiquement discutable que ce concept est absurde !
En revanche, l'invention de l'hétérophobie vaut son pesant d'or.
Parce qu'une personne est attirée par ses prochains du même sexe, elle « rejette » les êtres de l'autre sexe ? Les préférences sexuelles ne forment pas un refus, au contraire. D'ailleurs, cet argument signifierait symétriquement que les hétérosexuels refusant de « communier » avec les homosexuels seraient homophobes. C'est considérer la chose à l'envers : l'homosexualité n'est pas une négation, c'est au contraire l'affirmation d'un amour différent.
9) On objecte souvent le cas des homosexuels qui n’ont pas choisi leur état. Mais il faut distinguer deux choses : les penchants homosexuels et la pratique de l’homosexualité. Les penchants ne sont effectivement pas choisis, et ne peuvent donc pas constituer un péché (qui suppose un acte libre). En revanche, nous ne sommes pas des animaux qui se laissent guider par leur instinct : nous choisissons de succomber ou non à la tentation et nous sommes responsables de nos actes. C’est le mystère de notre liberté et de notre responsabilité.
Après avoir démontré que l'homme avait besoin d'amour, les rédacteurs estiment maintenant qu'il devrait y renoncer s'il a le malheur d'être homosexuel. Pour eux, le choix est simple : les homosexuels devraient vivre dans la frustration jusqu'à leur mort plutôt que de s'accepter tels qu'ils sont. C'est d'une grande tristesse, contradictoire avec le reste des « munitions pour la riposte » : si l'Amour est la pierre angulaire de nos vies, pourquoi ne pas l'accepter même quand il prend la forme d'une relation entre personnes du même sexe ? Comme on l'a montré, l'homosexualité est un phénomène naturel qu'il serait déraisonné de condamner aveuglement sur la base d'écrits bi-millénaires. De plus, si « les penchants ne sont effectivement pas choisis » comme Riposte-catholique le reconnait, pourquoi Dieu imposerait-il à une telle part de l'humanité de vivre contre ses sentiments et passions, cruelle source de malheurs ?
Prétendre que les personnes dotées de penchants homosexuels sont contraintes d’y succomber, c’est supposer que nous n’aurions aucun moyen de résister aux tentations que nous connaissons fréquemment dans notre envie. Ce qui reviendrait à nier notre liberté… et à faire de notre vie et de celle de nos proches un enfer !
Une orientation sexuelle n'est pas « une tentation », c'est une caractéristique intrinsèque de notre identité, puisqu'elle détermine la qualité des personnes avec qui l'on cheminera au cours de sa vie. On peut lutter contre, exactement comme choisissent de le faire les ecclésiastiques. Mais il est déraisonnable de blâmer ceux qui préfèrent s'assumer tels que la nature (ou Dieu) les a fait, et de demander à toute une frange de la population d'abandonner l'ambition de fonder une famille parce qu'ils ont la malchance d'être homosexuels.
10) En revanche, il est bien évident que nous ne sommes pas tous aussi coupables de succomber à telle tentation, ni aussi méritants d’accomplir telle bonne oeuvre. Et nous n’avons aucune prétention à juger de la responsabilité de tel homosexuel. Dieu seul est capable de juger de cela. Pour nous, nous nous contentons de dire que l’homosexualité est un péché ; nous prions pour les homosexuels ; et nous nions vigoureusement que cela fasse de nous des « homophobes » !
La démonstration de la nature pécheresse de l'homosexualité est à peu près aussi convaincante que l'argumentaire anti-Galilée de l'Église (la Bible contredisait la thèse héliocentrique : le psaume 93 disait « tu as fixé la terre, immobile et ferme », Josué X 12-14 faisait état de l'arrêt de la course de la Lune et du Soleil) et relève bien plus des a priori de ses auteurs, dont l'opposition dogmatique transparait tout au long du document : « lobby gay », amour homosexuel mis entre guillemets, déconsidération de l'attirance pour les personnes de même sexe (Amour hétérosexuel mais penchants homosexuels).

L'Église condamne des actes par tradition et par inertie, alors qu'une remise à plat est nécessaire pour aborder de manière intelligente et actuelle le problème. En criant haro sur l'homosexualité, l'Église est responsable des dérives de ses fidèles et de bien des blessures psychologiques infligées aux homosexuels.

Il y a en effet toute une gamme de nuances entre l'absence de soutien à l'homosexualité (qu'on peut comprendre) et sa condamnation explicite comme étant un « désordre moral [qui] entrave la réalisation et la satisfaction personnelle ». Et ce sont bien les mots de l'Église, via la congrégation pour la doctrine de la foi dont Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, était à l'époque le préfet.
L'argumentaire de Riposte-catholique sonne alors bien creux...