lundi 17 mai 2010

Quand Christian Vanneste réfléchit sur la pédophilie pour mieux condamner l'homosexualité

Le 30 avril 2010, Christian Vanneste, le fameux député du Nord, s'est fendu d'un billet à propos des déboires de l'Église Catholique, embourbée dans un nombre important d'affaires de pédophilie (qui reste anecdotique par rapport à la masse du clergé).

Il utilise en fait cette problématique, comme l'on pouvait s'y attendre, pour charger une fois de plus l'homosexualité, et ce dès la première ligne de sa prose : « l’atelier sémantique gay a inventé la prise de judo conceptuelle la plus efficace : la pédophilie est un crime. L’homosexualité une vertu. » Présentée de manière anodine, cette introduction est parfaitement sinistre. Car le député associe d'entrée de jeu l'homosexualité à la pédophilie, comme si leur nature était intrinsèquement identique et que seules des considérations linguistiques les séparaient, inventées, de plus, par une certaine communauté homosexuelle désireuse de mystifier la population. D'une audace stupéfiante de mépris et de déconsidération ! Heureusement, ce postulat inexact remet d'entrée de jeu en question l'argumentation à venir du député, d'une part car il n'existe aucune statistique signifiant que les jeunes garçons sont plus ciblés que les jeunes filles par les pédocriminels (à part les affirmations de l'Église, sur lesquelles nous reviendrons par la suite), et d'autre part car la physiologie d'un enfant est fondamentalement différente de celle d'un adulte, et ne permet donc pas d'établir un lien entre le sexe des enfants agressés et les préférences sexuelles des agresseurs : l'attirance qu'ils éprouvent est ailleurs que dans la masculinité ou féminité de leurs victimes, car elle n'est pas construite à ces âges. Mais l'auteur lie homosexualité et pédophilie avant même d'entrer dans le vif du sujet et d'essayer de démontrer leur proximité, ce qui marque clairement son absence d'objectivité et invalide déjà la forme de son raisonnement puisque qu'il présente d'abracadabrantes vérités comme établies avant de commencer.

Mais penchons-nous sur le fond. Il introduit la notion d'éphébophilie, « l’attirance des hommes pour les adolescents pubères mais ambigus de traits ». Mais il précise qu'elle « ne commence ni ne s’arrête à 15 ans », ne cachant guère que cette distinction sémantique n'est en fait qu'un artifice pour parler à nouveau de pédophilie, puisque les enfants de moins de 15 ans sont également concernés. Et d'après lui, l'homosexualité y serait liée par essence, ce que prouverait la confusion permanente qui règne entre les deux. C'est encore une fois une affirmation grossière, présentée comme une vérité par son auteur alors que l'argument est parfaitement fallacieux : l'«art et la littérature» le justifieraient, et le lecteur est prié d'y croire sur parole. N'attendez pas de lui qu'il évoque Pierre de Ronsard et son « Mignonne » dédié à Cassandre alors âgée de 13 ans, Vladimir Nabokov et son « Lolita » dans lequel il décrit sa relation avec une jeune fille de 12 ans, Christian Vanneste se contente de généraliser des références qu'il ne prend pas la peine de citer. Il manque malheureusement d'honnêteté intellectuelle tant l'argument pourrait être appliqué à l'identique à l'hétérosexualité : aurait-il oublié que l'Église dont il se fait le porte-parole et dont il défend la conception du mariage autorisait celui-ci, au Moyen-Âge, dès l'âge de 12 ans ? Et on ne parle pas d'art ici, seulement d'Histoire.

Revenons sur l'argument de l'homosexualité des prêtres mis en causes dans les affaires qui secouent actuellement l'Église. 90% des cas seraient des attouchements sur des adolescents plutôt que sur des enfants, et 60% de ces cas auraient été des actes perpétré sur des garçons, ce qui a naturellement permis à notre député et au cardinal Tarcisio Bertone (n°2 du Vatican), de dresser immédiatement des conclusions sur la nature éphébophile et donc perverse des homosexuels, et par la même occasion de détourner l'attention des prêtres fautifs sur les gays - tant qu'à faire, pourquoi ne pas jeter ses sombres squelettes sur les autres afin de s'en débarrasser ? Pourtant, l'interprétation d'une donnée brute sans considérer la situation dans son ensemble est simplement invalide d'un point de vue statistique. Cet écueil de méthode, particulièrement sournois et captieux, se glisse très régulièrement dans les propos des opposants à l'homosexualité pour faire office d'argument d'autorité sur le lecteur (les Chiffres ne mentent pas), alors même qu'il rend en réalité la preuve inepte.
Par exemple, d'après les statistiques du Collectif Féministe contre le Viol, le département du Nord dont vient Mr. Vanneste est après Paris le premier de France en nombre de viols, avec une avance importance sur la majorité des autres. Alors pourquoi le député ne conclurait-t-il pas à la perversion intrinsèque des siens ? Parce que ce serait négliger tout un contexte, à la fois socio-économique et statistique.
C'est la même chose ici : en ne donnant aucune indication sur l'exposition des prêtres concernés aux garçons et aux filles (les enfants de chœur ne comportent des filles que depuis 1983, et sur autorisation), en taisant le refoulement dramatique que l'Église a imposé à ceux d'entre eux qui se savaient homosexuels, et en ne faisant pas la moindre allusion à leur célibat particulièrement susceptible de créer des frustrations et de susciter des comportements extrêmes, le député est malhonnête. Il ne présente aucun de ces éléments car ils n'accréditent évidemment pas la thèse de l'auteur, et qu'il serait regrettable de manquer une si bonne occasion de dénoncer l'homosexualité à grands renforts de préjugés, quitte à mettre son intégrité de côté.

Car les chiffres fournis par le Vatican ne sont absolument pas cohérents avec les seules statistiques dont nous disposons en France, celles de la ligne SOS Viols Femmes Informations, qui recueille également les témoignages des hommes. Car les statistiques sont explicites : en 2007, sur 1575 cas de viols de mineurs de 0 à 14 ans, 145 concernaient des garçons, soit moins de 10%. Aucune sur-représentativité, d'autant plus que nous parlons ici d'enfants auprès desquels l'orientation sexuelle n'a pas beaucoup de sens pour les raisons énoncées plus haut : il serait douteux de vouloir rapprocher les attirances qu'un agresseur peut avoir pour un enfant de moins de 14 ans et pour un adulte. Mais parlons maintenant d'éphébophilie, car les statistiques de l'association sont précises : 340 viols signalés ont eu lieu sur des adolescents de 15 à 17 ans, dont 10 concernaient des garçons soit moins de... 3%. Où se cache l'« éphébophilie » des homosexuels ? La réalité est à des années-lumières de ce que l'Église dit se passer dans le clergé, qui devrait d'ailleurs s'inquiéter de sa troublante singularité.

Mais Christian Vanneste s'improvise sociologue et croit conclure en une ligne sur un sujet qui pourrait faire l'objet d'une thèse, au renfort d'un seul chiffre donné par le Vatican en totale contradiction avec les données disponibles par ailleurs, et en faisant fi de toute analyse. C'est somme toute assez révélateur de la droiture de sa position, car il ne fait nulle doute que cet ex-professeur de philosophie connait parfaitement les nombreuses failles de son raisonnement ici mises en lumière, qu'il choisit sciemment d'occulter pour défendre son point de vue radical.

Il enfonce le clou quelques lignes plus tard, en répétant que la distinction faite entre homosexualité et pédophilie n'est qu'une « coupure sémantique à la fois grossière et hypocrite ». Mais cette affirmation se basant sur des lemmes erronés, l'intégralité de la démonstration s'effondre. En effet, nous n'avons pas à prouver que l'homosexualité n'a rien à voir avec la pédophilie car rien ne permet de le soupçonner, s'agissant d'une idée façonnée par ses adversaires au nom de leurs croyances.
C'est donc l'inverse qu'il faudrait mettre en évidence, ce à quoi Christian Vanneste s'essaye en manipulant les sophismes et la duperie avec talent. Mais on ne façonne pas les vérités avec des arguments trompeurs et des idées préconçues. Par contre, c'est de cette façon qu'on entretient les préjugés et qu'on contribue à stigmatiser une catégorie de la population, procédé aux antipodes des valeurs républicaines qu'il estime défendre.

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